" ROMAN DE GARE A VOUS " PAGE 1

De lentes langues de brume s'élèvent du cours de l'eau. Une vague lueur orangée sur la colline en face, s'essaie à émerger. La chaleur va vite prendre le dessus. J'ai deux heures à pécher, ensuite, la boule orange se fera d'un blanc incandescent. La rame et l'écope sont enchainées au trou dans le calcaire du rocher, le bateau avec. Je saisis la rame et l'écope et laisse la barque à la chaine. La rame sur une cuisse, de gauche à droite et retour, je vide le navire, je finis à l'écope. Je pose ma planche à proximité de la proue, elle sera mon siège. Canne courte de bambou noir, asticots, chapeau de toile. La barque dans le courant se rue vers l'aval. La rame dans la main gauche, la canne dans la main droite, je file à cinq mètres des saules dont les branches font un dôme vert pâle. La canne fouette en arrière puis vient délicatement envoyer le paquet d'asticot à huit mètres devant le nez de l'embarcation. Ce mouvement fait siffler le crin et se répète en métronome. Un léger remous signale un chevesne, à proximité de l'appât. Deux secondes d'attente, puis un coup de poignet vers l'arrière. Le poisson éclabousse autour de lui et fait plier la canne. Je pose ma rame et prend le fil, dans l'eau maintenant, et tire le poisson vers moi. Il résiste puis brusquement mollit son effort. Je le hisse à l'intérieur, où il lui prend trop tard de se débattre. Des coups de rame pour remettre le bateau en ligne et éviter cette branche morte immergée. Un nouvel asticot et la descente reprend. Sous la falaise de 60 mètres le courant s'est calmé, un fond d'au moins six mètres, je le sais, j'y ai plongé il y a peu. C'est l'heure ou les vieux chevesnes patrouillent en surface. Lent mouvement de rame, rentrée sans bruit au bateau. Canne sans bruit. Un gros remous, trois secondes à attendre. La bataille est rude, cette fois de plusieurs minutes. J'attrape le poisson aux ouïes pour éviter de casser mon fil. Beau " cabot " comme on les appelle ici. Huit à neuf poissons. La barque file doucement à l'entrée de la grotte immergée. C'est ici que ma descente stoppe. J'en ai pour deux heures à remonter en tirant mon bateau dans les vingt centimètres d'eau des bancs de gravier, ou à la rame en suivant les remous des contre-courants. C'est dans ce secteur qu'opère le grand gitan. Lui il fait autrement :Il marche dans les galets sous vingt centimètres d'eau, il marche à contre -courant, le grand gitan. Je suis sur la rivière depuis l'âge de huit ans, hiver, automne, été, printemps, je suis un autodidacte de la barque. Le plus complexe est l'hiver, la rivière à la limite de la crue. Pour ce qui est du chevesne, " le matelot " a fait beaucoup pour mon initiation.

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